Cette cuisinière à bois n’était pas seulement présente pour ravir le cordon bleu qu’était ma mère…
C’est elle qui nous tenait chaud pendant l’hiver. Aucune pièce de la maison n’était chauffée, sauf le samedi, la salle de bain pour prendre une douche. Les autres jours, on se débarbouillait, on effectuait une toilette de chat à l’évier de la cuisine avec une bassine. C’était moi le premier, puis mes sœurs et les adultes se lavaient une fois les enfants au lit.
Pour Noël, dans la salle à manger, le poêle en faïence était mis en route et cela demandait tout un protocole. J’aimais aider mon père, on commençait par rentrer du bois en grande quantité :
– C’est qu’il a faim ce fourneau ; disait-il.
D’abord de l’allume-feu, puis des bûches de plus en plus grosses, tout cela stocké contre le mur derrière le poêle. La porte du foyer ouverte, je froissait des pages du journal que je glissait dans ce qui est dans mon imaginaire, l’antre de l’enfer brûlant les âmes pécheresses à petit feu. J’étais bien marqué par la doctrine religieuse et souvent les images du livre de catéchisme me faisaient peur, on était bien loin du partage d’amour ou de paix.
Mon père, en homme méticuleux, plaçait le petit bois de manière très scrupuleuse, puis grattait une allumette. Il me la donnait et j’avais le droit d’enflammer le papier, instant féerique, car le feu a cette magie de fasciner. Ensuite, il surveillait l’embrasement avec sérieux et rajoutait petit à petit des bûches de bois de plus en plus grandes.

C’était tout une cérémonie que nous vivions avec ce kachelofen. Il fallait presque une journée pour que la faïence accumule la chaleur et qu’elle irradie doucement cette salle à manger où la température devait, au mieux, être de 5°. Puis nous attendions encore quelques jours pour qu’enfin l’atmosphère se tempère, et après une attente qui à tous nous paraissait interminable, nous pouvions prendre un repas dans une ambiance agréable.
En cette période de fin d’année, nous passons presque toutes les vacances de Noël dans cette pièce. Mes parents disaient :
— Si déjà on la chauffe, profitons-en !
Ma mère pestait, car la cuisine était à l’autre bout du couloir et elle en faisait des aller-retour, surtout qu’elle était, un peu comme son papa, tête en l’air. Ce qui l’horripilait le plus, c’est que pour certaines spécialités, le temps de remonter le couloir glacé, le plat mitonné avec soin perdait en température ; heureusement dans le haut du kachelofen, un four permettait de réchauffer ou maintenir les plats au chaud.
C’était un moment extraordinaire, la vie dans cette salle à manger qui enclenchait la joie des festivités de Noël avec la décoration du sapin qui présidait le lieu. Ce sapin, nous allions le chercher cérémonieusement avec mon papa dans la forêt.

Les fêtes terminées, on laissait le foyer s’éteindre et la pièce redevenait triste et sombre. Dehors, l’hiver sévissait. On abordait janvier puis février, les mois les plus glacials où le mercure du thermomètre s’effondre à -15, -18, -20 et il arrivait même qu’il descende à -25. À ce moment, enfin le père disait :
– Aujourd’hui, il fait froid !
Pendant ces périodes hivernales, la vie de notre communauté se déroulait à la cuisine. Ma mère préparait le repas et pendant que nous mangions, mon père écoutait au transistor le jeu des 1000 francs puis les informations. Je le vois encore ce poste rouge et blanc de la marque Radiola. Une fois éteint, il était rangé au-dessus du buffet et personne n’avait le droit d’y toucher et encore moins de sortir l’antenne, car la casser condamnait l’appareil.
En plus de son rôle quotidien, cette cuisine devenait le lieu où nous effectuions nos devoirs, puis je jouais alors que mes sœurs étudiaient, ce qui provoquait quelques rixes. Ma mère, dans le peu de temps libre qui lui était octroyé, lisait l’Écho de la Mode et mon père feuilletait le catalogue de Manufrance ou le Chasseur français.
Le soir de temps en temps, il sortait le tourne-disque et nous écoutions des valses de Vienne, des opérettes, l’Auberge du cheval blanc, la Veuve joyeuse, etc.. Ou encore de la musique traditionnelle alsacienne, telle que les cigognes sont de retour ou le très populaire D’r Hans im Schnokeloch (littéralement le Jean du trou aux moustiques) avec des propos à faire réfléchir : “Ce qu’il veut il ne l’a pas, et ce qu’il a il ne le veut pas”.
Les paroles s’élevaient et cela donnait un air de fête dans ma tête. Aujourd’hui, il m’arrive de fredonner ses mélodies et même certaines paroles comme celle de l’opérette, le Pays du Sourire :
Mon amour et ton amour
Sont nés le même jour
Je t’aime bien, tu m’aimes bien
Le reste n’est plus rien !
Quoi de plus beau que de fredonner dans le creux de l’oreille, sous un soleil radieux, cela à sa bien-aimée😍.
A suivre…
Ma grand-mère habitait en Haute-Marne et il est vrai que l’hiver, on vivait dans la pièce où se trouvait le fourneau (à charbon me semble-t-il…), et pas ailleurs car il y faisait bien trop froid.
Autre époque que tu décris avec précision et chaleur, c’est le cas de le dire !!!
Merci pour ces souvenirs touchants !
Feliz Natal e Feliz Ano Novo no Algarve !
J’aimeAimé par 1 personne