Les annonces à répétition, peu réjouissantes pour cet hiver 2022/23, fleurissent et ce n’est pas la joie du printemps qui se pointe, mais sûrement un rajout d’exaspération dans les familles ; prix élevés, restrictions, coupures…
Est-ce la fin de ces logements où la température est gérée par des thermostats et des sondes, etc.? Où la chaleur douce s’épanche dans toutes les pièces même parfois dans les ateliers ou les garages ?
Est-ce la disparition d’une période où chacun croit que tout lui est dû et l’on abuse de chaque produit?
En oubliant que derrière ceux-ci des êtres humains, souvent déconsidérés, usent leur santé ?
On escamote le fait que derrière tout ce qui nous apporte un soi-disant bonheur, il y a des matières premières que la terre nous donne gracieusement et que nous exploitons sans aucun respect ni remerciement.
Alors que signifie le monde moderne ?
Pour moi ce devrait-être une amélioration de la qualité de vie, le plaisir de se rendre à son travail, le soulagement de toutes les tâches pénibles, un droit au savoir et à la culture pour tous. Suis-je utopiste ou naïf ?
Tout en ayant cette réflexion, me voici projeté, à la vitesse de la lumière, dans le temps de mon enfance…
À l’arrivée de l’hiver qui était bien plus rigoureux, le stress et l’anxiété ne sévissaient pas comme actuellement.
Avec mes parents, nous habitions une grande maison avec un long couloir central et les pièces avec de hauts plafonds étaient disposées de parts et autres de celui-ci.
Il y en avait cinq distribuées selon ce principe : celle de mes parents, une pour mes deux sœurs, une chambre pour les grands-parents lorsqu’ils venaient passer quelques jours et en tant que garçon j’avais la mienne.
Au bout du couloir siégeait une immense salle à manger, on aurait pu y danser, mais dans ma famille ce ne sont pas des choses qui se pratiquait. Un magnifique Kachelofen la présidait (terme alsacien pour un poêle en faïence qui se prononce Koralof). Dans cette maison du début du XXe siècle, mon père avait transformé une pièce en salle de bain en y faisant installer une douche et un lavabo ; ce qui à la fin des années 50 était un luxe.
Enfin, il y avait la cuisine, la pièce de vie qui était moins grande que toutes les autres. L’évier était implanté devant la fenêtre, afin de profiter d’une satisfaisante luminosité pour tous les travaux. Bien évidemment, on y trouvait un buffet, une table qui avec des rallonges pouvait accueillir huit voire dix personnes.
Mais l’élément essentiel était la cuisinière, il y en avait une petite à gaz qui tentait de détrôner l’ancienne cuisinière à bois. À l’automne, la doyenne reprenait du service et ma mère rayonnait de contentement. Elle affirmait à qui voulait l’entendre que ce n’était pas possible de préparer de bons plats sur ces engins modernes et que le four n’était pas pratique pour la pâtisserie.
Elle faisait toute une jérémiade pour expliquer que le thermostat ne servait à rien et d’ailleurs il ne devait pas bien fonctionner. Ces dernières pâtisseries étaient carbonisées, ce qui n’advenait jamais avec l’ancêtre de ces machines dernier cri. Elle était heureuse de retrouver la plaque en fonte de la cuisinière à bois où il lui arrivait de se brûler, mais ce n’était pas bien grave ! Elle rabâchait qu’il n’y avait rien de mieux pour mitonner les bons plats. Sa maîtrise du four à bois était incroyable et en y repensant je reste impressionné d’autant plus que maintenant, je sais aussi concocter quelques mets savoureux.
L’effervescence monte dans la cuisine, nous sommes à quelques semaines de Noël et ma mère fabrique gâteaux, truffes, dattes fourrées et bien sûr d’innombrables sortes de braedele (prononcé bredala, les petits fours de Noël).



Sur la grande table, tout un matériel est prédisposé pour travailler : balance, fouet, farine, chocolat, poudre d’amande, plaquette de beurre, cuillère en bois, spatule, sucre, etc. J’oublie le sucre glace, que l’on rajoute sur le kougelhopf et une fois qu’il en est saupoudré, il fait penser à la neige sur les ballons vosgiens. La cuisinière à bois carbure, le stock de bûchettes est prêt, tout est en place pour que l’orchestration débute.
Dans ces moments, j’abandonnais la neige et la luge pour être aux côtés de ma mère dans la cuisine. Je crois que cela lui plaisait de me voir près d’elle et elle me donnait de modestes tâches. Celle que je préférais c’était de poser les emporte-pièces sur la pâte des butterbredele (petits fours de Noël au beurre) ; j’en profitais aussi pour manger de temps à autre un petit morceau de cette pâte ; contenant surtout du sucre et du beurre.
J’aimais observer quand elle sortait les tuiles du four et qu’elle les coinçait sous la grille qui permet la stabilité de la casserole installée sur la cuisinière à gaz. Pour moi, c’était magique ce gâteau tout plat qu’elle courbait sans le casser et qui gardait sa forme demi-ronde. C’est à ce moment qu’elle râlait et disait:
– Arrête de traîner dans mes jambes, tu vas me faire tomber avec ma tôle de gâteaux.
Cela m’amusait de tourner le fouet à manivelle, mais je n’avais pas le tour de main assez rapide pour que les blancs montent en neige. Je démarrais et bientôt maman reprenait la main et voilà cet amalgame qui devenait une neige glacée ; subrepticement, j’y plantais un doigt que j’enfournais dans ma bouche. Ma mère me disait :
– Tu crois peut-être que je ne t’ai pas vue ? Cela suffit, tu vas avoir une indigestion.
J’aurais le droit de lécher le fouet et j’en aurais presque jusque derrière les oreilles comme dirait mon père. Je tentais toujours de l’aider pour former les truffes en boule qu’elle roulait entre ses mains avec dextérité. Comme je n’allais pas assez vite, le chocolat fondait dans la paume et il ne me restait plus qu’à lécher en tirant ma langue au maximum. Ma mère riait, elle savait bien qui si je tenais tant à l’épauler pour ce travail c’était plus pour me laper les menottes que la soulager.
Ces souvenirs me mettent l’eau à la bouche et j’en oublie la cuisinière à bois et ma mère.
Sa tôle bien beurrée garnie d’une sorte de braedele était prête à être enfournée. C’est à ce moment que tout un cérémonial s’installe. Elle entrebâille la porte du four, glisse sa main à l’intérieur, hoche la tête, pas assez chaud, dit-elle. Elle ajoute quelques bûchettes de bois, augmente le tirage et va s’occuper d’une pâte en attente. Elle revient vers son four, l’ouvre et y faufile à nouveau la main ; sans un mot s’empare de l’une de ces tôles recouvertes de sapins, d’étoiles, de bretzels, de bottes… l’insère dans le four pour le clore prestement.
À un autre moment ce sera l’inverse, le four sera trop chaud, elle fermera le tirage, laissera la porte entrouverte pour qu’il perde de la chaleur.
Sa main prenait la température du four et elle savait si elle était adéquate pour la cuisson des butterbredele, car pour les anis braedele (petits fours à l’anis), la gourmandise de mon père, la chaleur n’est pas la même. Là où tout se corsait, c’est pour les merveilleux rochers amandés qui nécessitaient un four doux comme elle disait.
Il arrivait qu’une plaque de gâteau soit roussi, plus rarement brûlé. Il était exceptionnel que ce soit une erreur de la main, c’était souvent dû à un oubli, car la fabrication de toutes ces douceurs amenait à effectuer plusieurs choses à la fois. Cette fois-ci, c’est l’odorat de la maman qui détectait la maladresse grâce à l’effluve s’élevant dans la pièce. Elle se précipitait pour ouvrir la porte et en sortait des petits fours bien bronzés, qu’est-ce qu’elle pouvait pester. C’était un chapelet de méchancetés envers elle-même. Je ne suis qu’une imbécile, mais quelle idiote je fais, il n’y a pas idée d’être aussi bête.
J’avais déjà déposé dans le fond de mon four personnel l’un de ces breadele soi-disant raté et un peu trop chaud ; et je lui disais :
– Mais non maman ils sont bons tes gâteaux!
Elle souriait en me répondant, tu es gentil, mais ils sont quand même loupés.
La sortie de la plaque suivante avec des petits biscuits bien dorés la réconciliait avec elle-même. Alors c’est avec entrain qu’elle les badigeonnait de sucre coloré, du vert pour le sapin, du blanc pour l’étoile, du rouge pour la botte.
Cette cuisinière à bois n’était pas seulement présente pour ravir le cordon bleu qu’était ma mère…
À suivre
La suite la semaine prochaine 😉
Un peu de romance avant Noël, ça réchauffe le cœur.
Idées cadeaux..
Merci beaucoup, j’ai gardé cette culture du plat mijoté Il n’y a plus la cuisinière à bois mais les émanations s’echappant de la casserole en fonte sont toujours alléchantes.
Merci pour ton message.
Joyeuse fête !
Bien amicalement
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Et oui tout ces parfums inhaler sont inoubliables. Mais heureusement je sais qu’en ce moment même dans de nombreuses chaumières le beurre et les épices s’entremêlent pour sortir du four en magnifique bredaele.
Bonne idée une diffusion de recettes.
Bien amicalement et merci
Pascal
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Bonjour,
Effectivement que de souvenirs réactualisés à notre époque.
La bonne odeur des plats mijotés lentement…
Bonnes fêtes de fin d’année à vous.
Marie G.
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Odorante et chaleureuse tranche de vie !
J’adore ces instantanés pâtissiers, si criant de vérité, sentant les épices douces comme la vanille, la cannelle et l’anis, le bois brûlé du four et le pénétrant parfum du beurre mêlé de sucre roux et de farine complète.
Comme par hasard, je trouve que cette année on parle beaucoup des recettes de schwowebredele et spritz bredele !
Tu as tapé dans le mille Pascal encore une fois: nostalgie, quand tu nous tiens !
A quand tes recettes des bretzels et de la tarte à l’oignon ?
Bonne dégustation !
Thierry
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