Les marchands ambulants

Nous voici de retour dans notre lieu de repos et d’inspiration l’Ecopark à Alportel en Algarve. Niché dans une vallée au centre de montagnes nous reprenons nos activités sportive, trail, vélo, rando.

Regard sur notre terrain de jeu !

Pour les longues soirées d’hiver, je vous propose de découvrir un nouveau projet littéraire : je me lance dans l’écriture de nouvelles.


 » Une grande demeure à la lisière d’une forêt de feuillues. Durant les orages, le balancement des arbres impressionne le petit garçon qui passe les vacances chez ses grands-parents. Une allée contourne la maison, elle est bordée d’arbres et plus particulièrement quelques houx de belles tailles dont les feuilles piquantes et les boules rouges émerveillent l’enfant.

Il aime admirer et sentir les parterres de fleurs multiples dont les appellations sont trop compliquées à retenir. Ses préférés restent les roses, au nom facile à mémoriser, et dont les parfums exhalent ses sens olfactifs.

Avec sa trottinette, il n’a point de cesse, il tourne et il tourne pendant des heures autour de la maison. Son grand-père ne prête pas attention à ses circonvolutions, il entretien le jardin qui semble immense pour le bambin.

De temps à autre, la grand-mère, depuis la fenêtre de la cuisine, lui crie :

– Arrête un peu de tourner, tu me donnes le vertige ! 

Dans le cadre enchanteur d’un mois juillet bien agréable où les mésanges, rouges-gorges et merles sifflent à cœur joie, voici qu’un coup de klaxon strident rompt le rythme de cette douce matinée.

Le grand-père se relève et court jusqu’à la maison, on entend le début de sa phrase qu’il adresse à son épouse, avant qu’il ne gravisse les quatre marches qui mène à la cuisine.

– Dit Pauline, tu n’oublieras pas…

Il ressort accompagné de sa femme et retourne dans son jardin.

Le petit garçon sautille derrière sa mèmère et la suit. Ils contournent la maison, descendent l’allée et ouvre le portillon qui donne sur la route. Des bonjours, comment allez-vous, fusent entre les voisines qui se dirigent vers la camionnette : c’est le boucher.

En ces temps-là, pas de mini ou de grande surface. Tous les commerçants défilent dans les hameaux ou partie du village éloignée du centre.

Le haillon est ouvert, chacune de ces dames y va de son commentaire sur la météo, la santé ou la qualité de la pousse des légumes du jardin. Le boucher commence par distribuer des ronds de saucisse aux enfants. Ces dames prisent dans leur discussion n’entendent point le merci timide des petites-filles ou petits-fils.

– Il vous a bien dit merci, monsieur Renard ?

– Mais oui Madame Charlois !

– C’est bien sûr ?

Et se tournant vers le petit, elles se rassurent par ces mots :

– Tu as bien été poli, tu sais que l’on ne demande pas.

Et oui, il y a des règles de politesses auxquelles il ne faut point déroger, elles sont importantes. Cela serait un signe de mauvaise éducation et une honte pour la grand-mère.

Chacune de ces dames passe sa commande, certaines réservent de belles pièces de viande, car les enfants vont venir séjourner quelques jours.

Le bambin se permet de demander à sa grand-mère si elle n’a pas oublié ce que voulait pépère. Car il part au lever du jour dans le bois, il ramène d’énormes fagots de charbonnettes qu’il va scier manuellement pour les transformer en bûchette. Elles vont alimenter la cuisinière à bois qui fonctionne toute l’année afin de concocter le repas, ici la gazinière n’est pas encore arrivée. À son retour, il aime tremper son pain dans le café avec une tranche de fromage de tête ou de cervelas ; comme il n’est pas pingre, il partage toujours avec son petit-fils.

Les clientes servies, le boucher referme son haillon, le moteur démarre et il s’éloigne. Ces dames confabulent encore, alors que l’on entend le klaxon de la camionnette qui s’arrête un peu plus loin. Elles se plaignent gentiment du petit-fils qui est infatigable, turbulent tout en lui passant avec affection la main dans les cheveux.

Les vieilles dames, clopin-clopant (que voulez-vous ce sont les rhumatismes), regagnent leur cuisine, afin de terminer le repas de midi.

Tout a repris sa place, le gamin tourne avec sa trottinette, le grand-père est dans son jardin, les poules caquettent et les mésanges, merles et compagnies redémarrent leurs chants.

Le lendemain même scénario avec l’épicier, le vendredi, bien évidement le poissonnier, il y aussi le marchand de vêtements ou encore le camion du grand bazar, ces derniers passent les après-midi. Une partie du magasin ambulant est occupé par des jouets, aucun bambin ne se permettrait de demander et encore moins de réclamer, trop de risque d’avoir des remontrances, voire un soufflet. Alors les enfants guettent du coin de l’œil le grand-père ou la grand-mère si l’un d’eux se dirige vers le véhicule, un germe d’espoir nait dans les yeux des petits. Il arrive pour des occasions particulières que l’un des aïeux sans rien dire revienne avec un ballon ou autres jeux. Avant de recevoir le présent, c’est une leçon de morale qui va être donnée, suivi de mille précautions sur l’attention à porter à l’objet afin de ne pas l’abimer.

Mais le moment préféré du gamin c’est le samedi après-midi. Le garçonnet à chaque tour de trottinette s’arrête pour écouter s’il n’entend pas le coup de klaxon informant de son approche. Rien en vue pas un son, il repart trottiner avec son engin.

Mais que peut-il attendre aussi impatiemment ?    

Encore quelques tours, à nouveau un arrêt et toujours rien. Il ne comprend pas, il devrait déjà être là ! Enfin, ces gens-là n’ont point d’heure ! Les clientes sont reines et les bavardages vont bon train, alors l’heure c’est pour les trains, mais pas pour les marchands ambulants. Cela oblige tout le monde à tendre l’oreille pour écouter ce coup de trompette moderne qui va fendre le silence.

Tout à coup tuut, tuut!

C’est l’affairement général dans toutes les demeures. Le garçon attend sa grand-mère en sautillant; celle-ci lui dis :

-Tient toi tranquille, prends le saladier mais ne le laisse pas tomber!

Mais qui cela peut-il bien être ?

Un marchand de bonbons ? Cela n’existe pas en ces temps-là et ces derniers sont rares, car ils provoquent des caries et engendrent les plaisirs de la gourmandise ce qui n’est pas bien. D’ailleurs, les gâteries sont fabriquées directement des mains de la mère-grand, on pense économie et elles sont distribuées avec parcimonie.

On aperçoit la camionnette, c’est un tube Citroën blanc avec une peinture verte sur la partie basse. Le haillon s’ouvre à l’arrière à l’inverse de celle du boucher qui s’ouvre sur le côté. En s’approchant, des parfums taquinent le sens olfactif des gourmets. Nous retrouvons le même cérémonial, avec les mêmes dames et les mêmes têtes de bambins aux yeux émerveillés devant l’étal du crémier/fromager.

Et le rituel reprend, ce n’est pas une distribution de rond de saucisse, mais de lamelle de fromage avec les réflexions identiques des vieilles dames.

Le garçon tend le saladier et surveille les gestes du fromager. Celui-ci dépose plusieurs louches de fromage blanc qu’il extrait d’un grand pot et qu’il va recouvrir de deux louches d’une crème bien onctueuse, qui s’écoule lentement en se plissant.

Il sort un coulommiers moelleux qui n’est pas en boite, un munster bien fait et odorant qui n’est pas emballé dans du papier ainsi qu’une belle tranche de gruyère.

Chacun retourne à ses occupations, le camion s’éloigne et pendant une semaine l’enfant va rêver à son retour. Mais pourquoi tant d’expectative pour un simple fromage blanc et de la crème ?

Le garçonnet se remet à tourner avec sa trottinette, mais avec moins d’entrain qu’à l’accoutumée et toute personne le connaissant se rend compte qu’il est dans l’attente. Il guette le moment où son grand-père va quitter sa besogne de jardinier pour se laver les mains à la buanderie et rentrer à la maison. Il aimerait bien demander à sa mèmère quand est-ce que l’on mange, mais il sait que c’est une demande qui n’est pas appréciée et qu’il se ferait gronder. En ces temps, on patiente sans geindre.

Finalement, l’instant attendu arrive et il est appelé pour venir à table. Le voici tout heureux, cependant il arrive tranquillement, car exprimer un signe d’empressement engendrerait des réprimandes. De suite, l’aïeul lui lance les recommandations :

— Lave-toi bien les mains, ferme le robinet après avoir savonné, on ne gaspille pas l’eau.

Assis à côté de son pépère, il danse sur sa chaise réjouie par l’évènement. Mémère dépose sur la table des pommes de terre en robe des champs et ce fameux saladier de fromage blanc et de crème.

Le grand-père sert à son petit-fils trois pommes de terre et les recouvre de cet onctueux mélange qu’il va saupoudrer de sucre roux. Il se prépare une assiette identique, peut-être un peu plus importante. Tous les deux cérémonieusement portent à leur bouche leur première cuillère ; le gamin se régale et il se sent en communion avec son grand-père qu’il regarde avec admiration et extase.

Pour le gamin que j’étais, ces instants étaient extraordinaires…

8 commentaires sur « Les marchands ambulants »

  1. Et oui ces temps font rêver d’une vie plus lente et plus douce. Est-ce mieux je n’en sais rien mais l’essentiel est que ces temps ne tombent pas dans l’oubli et aussi transmettre qu’elle fût notre vie.
    Bien amicalement et grand merci

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  2. Beaucoup d’émotion, car la lecture de ces mots oubliés me replonge dans un passé peut-être un peu trop sublimé, mais qui était dans le fond plutôt chouette du haut de nos 7-8 ans.
    Dans le fond, nos petits-enfants sont-ils plus heureux que nous l’étions à l’époque ? J’ai parfois des doutes…
    Bravo pour ces lignes pas si anodines que çà !

    Aimé par 1 personne

  3. Merci Pascal pour cette réaliste et touchante évocation de nos tendres années passées en ce qui me concerne dans notre petit village poitevin avec parents et grands-parents.

    Aimé par 1 personne

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