Le train à vapeur

La maison de mes grands-parents fut construite à quelques encablures de la gare ferroviaire. J’aimais ces instants de la journée où l’ambiance champêtre était perturbée par le sifflement de la locomotive annonçant son entrée en gare. À ce moment je m’envolais avec le nuage provoqué par sa fumée, j’humais cette odeur particulière qui l’accompagnait et je pilotais en rêvant, la locomotive à vapeur. Son sifflet avait la singularité de ne pas être strident, il chantait dans les airs s’élevant harmonieusement avec les volutes de fumée de la cheminée.

Je restais bien sûr ébahi comme beaucoup de gamins en apercevant ces nouvelles locomotives qui prenaient le nom de machine électrique ou diesel. Mais sur le réseau secondaire, la locomotive à vapeur résistait face à l’arrivée de ces monstres qui n’avaient plus de charme.

À leur démarrage ou à pleine vitesse, le son qu’elles émettaient, était différent ; pour moi ce n’était pas du bruit, mais un chant qui hypnotisait et donnait vie aux campagnes. Elles étaient impressionnantes avec leurs bielles motrices qui s’animaient lentement pour accélérer avec douceur, tel le danseur de la valse qui termine dans un tourni époustouflant.

Tout cela est une partition accompagnée par le tchou, tchou de la chaudière, la fumée qui s’échappe en formant des arabesques et cette odeur persistante dans l’atmosphère. Cette orchestration est agrémentée des personnes aux fenêtres des wagons qui font de grands gestes d’au revoir à la famille ou à l’amoureux resté sur le quai.

Je cours autour de la maison, dans le jardin et mes bras imitent le mouvement des bielles. De ma bouche tente de sortir le même son que la locomotive qui à grande vitesse décoiffe le chauffeur ou le mécanicien regardant par l’ouverture.


Mais que vois-je ? Mon grand-père s’habille proprement, il change son béret poussiéreux contre un béret noir immaculé et il me fait signe de venir. Je glisse ma main d’enfant dans ce qui me semble être une paluche de géant calleuse et pourtant douce, car rayonnante d’affection.

Nous franchissons le portail, la limite de mon terrain de jeu, pour moi c’est toujours un délicieux moment quand je peux aller au-delà des frontières autoriser. Nous marchons sans souci sur la route, la rareté des véhicules qui dans tous les cas se déplace posément, n’implique aucune crainte de l’accident. Une légère pente nous amène au passage à niveau.

Mon grand-père lève son couvre-chef et adresse un bonjour à la garde-barrière. Celle-ci malgré le temps maussade qui ne permet pas à pépère d’entretenir son jardin porte une robe à fleurs ne flattant pas son tour de taille. Les bras nus, qu’elle expose aux biceps bien fermes, démontrent la poigne et la force nécessaire pour monter ou descendre les barrières.

De l’autre côté de la chaussée, une palissade sépare le domaine public de la propriété des trains. Pépère, cheminot retraité, sait que ce jour un train de marchandises vient d’arriver et que les wagons vont être triés. Ils rejoindront les usines environnantes ou reconstitueront un ou deux trains de marchandises qui ensuite, en se dirigeant vers des points cardinaux différents, traverseront les campagnes en faisant une animation pour les vaches.

Accoudé à la balustrade, pour moi c’est un spectacle vivant qui m’hypnotise. Les cheminots s’affairent en balançant leur bras dans des mouvements particuliers signifiant des ordres pour le mécanicien. La locomotive arrache les wagons du long ruban de métal, avance, recul et quand le bras du manœuvre s’abaisse brutalement, la mâchoire des freins se resserre autour des roues dans un crissement interminable. La machine stoppe promptement et les wagons s’entrechoquent dans un vacarme assourdissant, l’un d’entre eux s’en va tout seul à une bonne vitesse. Il franchit des aiguillages dans un énorme bringuebalement, cela m’effraie, car je le vois déjà se renverser, mais il continue sa route pour rencontrer le sabot qu’un agent a posé sur le rail. Il ralentit, puis doucement il tamponne le wagon qui est à l’arrêt, au moment de cette rencontre un son spécifique résonne. Un agent de la SNCF va venir les atteler et les voici relier pour parcourir un morceau de route ou plutôt de voie ferrée ensemble.

Mon grand-père m’a révélé le secret de ce vocabulaire particulier aux cheminots ; refouler, lancer, le sémaphore, le sabot, les bogies, le perchiste… tous ces mots se mélangent dans ma tête. Les yeux écarquillés, je peux rester des heures à observer et tenter de comprendre les gestes des manœuvres qui ressemble à une danse. Les hommes s’engouffrent dans un cabanon, c’est l’heure du casse-croûte et c’est aussi le moment où mon grand-père peut m’arracher à la barrière pour me ramener au domicile.

Les jours suivant, le hangar va devenir ma locomotive ; mes bras se balancent et s’arrêtent sèchement. J’ai bien retenu les gestes des employés du rail ; courir, sauter, grimper, si un inconnu m’apercevait, il se demanderait quelles sont ces singeries. Mais moi je sais, je suis dans le monde du rail, de la graisse et de la fumée avec ma locomotive, mes wagons et surtout que personne ne m’interrompt avant que la manœuvre ne se termine. C’est à ce moment que moi aussi, je rentre dans ma cabane: la cuisine, auprès de ma mémère pour apprécier une tranche de pain recouverte de cancoillotte. En dégustant ma tartine, je me remémore des discussions d’adultes qui parlent de la locomotive en la traitant de monstre bruyant et puant. Moi j’y vois dans ces mouvements des gestes gracieux et un chant plus agréable que celui des vieilles dames le dimanche à l’église.

Un jour, mon pépère me fait un cadeau. Nous nous rendons au dépôt, la belle demoiselle est de repos et des mécaniciens s’affairent autour d’elle pour la maintenir en parfaite santé. Il ne faut point qu’elle n’attrape d’angine afin que sa mélodie soit toujours aussi harmonieuse. 

D’abord, je l’admire puis je m’en approche pour la toucher, que dis-je la caresser. Et la fête fut à son summum quand un solide gaillard de la SNCF m’empoigne avec des bras de lutteur poilu et me soulève pour m’installer à la place du conducteur. Ma tête m’en tourne encore devant tous ces instruments avec des aiguilles, on m’apprend que cela se nomme des manomètres. 

Quelle émotion quand il m’ouvre la porte de l’enfer qui est éteint, le foyer où le chauffeur lance le charbon pour que la belle prenne de la vitesse et décoiffe sa chevelure au vent ! Le tender (le wagon contenant eau et le combustible) est déjà prêt à repartir pour de nouveaux voyages. Je descends de la machine comme les professionnels par l’échelle, mes mouvements sont lents et posés pour me délecter de ces derniers instants.

Le cheminot robuste discute avec mon grand-père et en me passant sa main noire de graisse dans les cheveux s’en va dans un éclat de rire tonitruant qui résonne sous la coupole du dépôt. Sautillant, fier comme un paon, je quitte ce lieu avec un regard langoureux envers celle que j’admire.

Le lendemain arrive le seul événement qui peut interrompre mes jeux ou rêves. Le sifflet de la locomotive vient de retentir, pas besoin de montre, d’ailleurs il est hors de question qu’un enfant en possède une. Comme tous mes camarades la première montre, je la reçois à la communion solennelle. Ce jour où l’on quitte le monde du jeu et de l’enfance, personnellement je crois que je ne suis jamais parvenu à en prendre congé et lui fausser compagnie. Je sais qu’il est 10 h 47, je cours au portail et j’attends. Dans mon imaginaire, je vois madame Paule la garde-barrière avec ses bras imposants tourner la manivelle. La barrière dans un fracas de ferraille descend lentement pour donner la priorité à la majestueuse machine à vapeur qui tire trois wagons de voyageurs, c’est le train des curistes.

Mon cœur bat avec la sérénade de la locomotive, le chauffeur doit s’activer pour lancer le charbon dans le foyer afin que le mécanicien puisse gonfler les soupapes, car à cet endroit la voie ferrée monte légèrement.

Je sais qu’elle ne va pas tarder, je scrute, ça y est la voilà. Enfin, je ne la verrai point, mais je suis son avancée grâce à la fumée qui s’élève derrière une haie d’arbres imposants, lors des orages, ils balancent leur bras comme d’immenses fantômes.

Le convoi passe derrière la propriété des Picard, patron du grand bazar qui se situe dans le centre du village. C’est une importante demeure avec un parc. Entre la route et la maison, il y a un potager où les légumes sont rangés comme les soldats du régiment le jour du 11 novembre. Je le sais bien, car je les observe quand avec l’école nous avons obligation de nous rendre au monument aux morts. Le long de la chaussée, une multitude de fleurs se concurrence l’espace et les couleurs. Mes yeux ne sont pas intéressés par ces légumes et cette flore, mais suivent attentivement l’évolution de la belle qui projette sa vapeur dans les cieux.

Elle passe derrière la maison des Grandjean et la voici cachée par la résidence de la Motte. Ici il y a moins de richesse que chez les Picard, ce sont des appartements pour les ouvriers de l’usine de la Chaudeau.

La locomotive a trouvé sa cadence, un coup de sifflet, elle traverse la route de la Vaivre ; sa mélodie s’éloigne pour finir dans un murmure et disparaître. La fête s’achève, le rideau se tire sur la belle qui enchante tant d’enfants.

Fin


Comment pourrais-je dire ?

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Je ne suis pas obligatoirement un passionné des réseaux sociaux, mais deux réalités m’ont poussé à créer cette page :

  1. Pour exister, il faut apparaître sur les réseaux.
  2. Du fait de mon absence de France pendant de long mois, je ne peux parcourir les routes pour promouvoir mon livre de librairie en salon du livre et de conférences dans un évènement en bibliothèque. Cette page m’est donc bien utile.

Je vous invite à lui rendre visite découvrir ce que j’écris et surtout partager, partager un maximum autour de vous.

Merci mes chers et plus fidèles ambassadeurs.

4 commentaires sur « Le train à vapeur »

  1. Salut Gerard,

    Tout ba bien dans le sud Portugal, si ce n’est des pluies diluviennes et orages de puis deux jours. Mais chut, aucune rouspétance nous devons nous réjouir car toutes les rivières etaient encore à sec. Alors de l’eau il en faut.
    Donc j’espère que maintenant tu n’oublieras point les clics pour lire.
    Merci, bien amicalement.
    Pascal

    J’aime

  2. Egalement grand soleil aujourd’hui dans le Lyonnais et de la neige sur les hauteurs.
    Merci pour ton très beau texte Pascal: tu as le don de savoir exhumer des souvenirs longtemps enfouis dans nos mémoires de baby-boomers, les locos à vapeur en sont !
    Je me rappelle des épais panaches de fumée que l’on voyait dehors quand on voyageait dans les premières voitures, et des escarbilles qui ne manquaient pas dans nos chevelures quand on descendait du train. On pouvait ouvrir les fenêtres des compartiments (e pericoloso sporgersi…) et à l’âge de 10 ans, on vivait le voyage comme une aventure, pas comme un temps obligé de TGV entre deux rendez-vous.
    Amitiés

    Aimé par 1 personne

  3. Hello les cyclistes Alsaciens…. que dis je Européens !!!!!
    Sympa ton petit texte, pour une fois, j’ai pris le temps de cliquer sur « lire la suite ». A cette époque, les trains étaient à l’heure !!!
    J’espère que vous allez bien et que l’air « Algarvois »???? vous va bien.
    Bel hiver à vous, ici grand soleil un temps de saison magnifique dans le Lauragais…
    Au plaisir de vous revoir

    Aimé par 1 personne

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