On m’a offert une mirabelle de 1977 !

En ce début d’année 2023, je m’évade dans les brumes du passé. 

1977, que c’est loin ! Mon esprit s’envole comme l’aigle qui avec son envergure se laisse planer par les vents. Je survole les Pyrénées, c’est un compte à rebours qui s’égrène. 

L’an 2000, voici les Alpes. Dans une vallée, je vais m’abreuver de génépi. 

1990, je virevolte au-dessus du Jura et je ne me priverais point d’un verre de gentiane ; 1980, j’aperçois les Vosges et le ballon d’Alsace.

1977, je me pose à Mulhouse et rien de tel qu’une lampée de marc de gewurztraminer pour me remettre du voyage. 

J’ai 33 ans, je suis marié et j’ai un enfant de 4 ans. Je suis contrôleur à la SNCF ; heureux d’être un jour à Paris, le lendemain à Lyon et le surlendemain au Luxembourg.

En observant la transparence de cette boisson de la vie, un lutin issu directement des contes du Taennchel ou du Mont-Saint-Odile m’apparaît. Il m’emmène avec lui et de sa baguette magique, me rend invisible. Nous parvenons dans un village d’environ 300 âmes dans la région de St Nabord, là-bas dans le Bas-Rhin. Nous sommes en hiver et à cette époque mesdames et messieurs, dit-il, les hivers sont des hivers neigeux. Cette poudre blanche nous arrive jusqu’aux genoux et empêche tout bruit de s’élever au-delà du clocher de l’église. Le froid sévit et les quelques personnes qui se hasardent dans la rue sont enveloppées d’une épaisse pèlerine en laine.

Dans les profondeurs d’une cave, là où il y a peu de clarté, des flammes dansent et des voix graves d’hommes chuchotent. Ces vignerons aux mains calleuses portent de vieux chapeaux qui ne sont pas des chapeaux du dimanche et leurs bras nous prouvent qu’ils ne boivent pas de la camomille. Devant eux sont alignés des fûts qui se tiennent au garde-à-vous.

Ce sont des tonneaux de fruits cueillis à l’automne. Avec une certaine déférence, ils soulèvent les couvercles. Le parfum du fruit qui macère depuis plusieurs mois s’élève pour taquiner leurs narines de vigneron habituées à humer les nectars des Dieux. Ils se regardent, pas de mots inutiles, un clin d’œil, un sourire ; ils savent que cette année elle va être bonne !

Il va falloir développer tout leur talent de bouilleur de cru pour maîtriser le feu qui lentement va chauffer la matière, afin que l’alcool s’évapore dans le col de cygne. Au moment du refroidissement, il se transforme alors en un liquide limpide comme de l’eau, mais tirant à cette époque, à 52°. D’où ce nom mirifique et rêveur « eau-de-vie « . J’entends l’eau de la vie !!!!

Dans le nuage de mon songe, je vois ces messieurs dans une discussion enflammée en alsacien, observant la première extraction s’écouler. Celle-ci est nommée la tête et peut tirer une alcoolémie de 65° à 70°.

Puis enfin, arrive la délicatesse du parfum du fruit avec la force de l’alcool.

Les yeux dans le fond dans cette cave brillent comme ceux du loup à l’orée du bois fixant l’agneau. Plus question de parler haut et fort, ils vivent des instants religieux. Le liquide coule en gouttes à gouttes dans une bonbonne, ils en recueillent cérémonieusement dans de petits verres adaptés pour l’occasion. Ceux-ci à moitié plein, les trois hommes les lèvent en direction des imposantes poutres en chêne maintenant la toiture, ils s’entrechoquent doucement et ils les dirigent vers leur bouche en humectant leurs lèvres. Certains, grumes, quelques hésitations dans les regards, des hochements de tête, les langues claquent contre le palais. Dans une union, une exclamation identique surgit, non pas d’outre-tombe, mais du fin fond de leur bonheur.

Cette année, elle est formidable !



Ce jour, 7 janvier 2023, dans une caravane en Algarve, loin de l’Alsace où reste toujours un morceau de notre cœur, dans nos verres à schnaps coule cette mirabelle de 1977. 

La bouteille saisie délicatement décline doucement pour déverser son eau-de-vie. Celle-ci arrive dans le goulot et voilà qu’elle s’écoule avec lenteur, un bruit sonore s’échappe ressemblant au cri du dindon : glouglou, glouglou.

Le niveau avec légèreté augmente dans le verre, à mi-hauteur, le maître de cérémonie redresse la bouteille. Les mains attrapent les verres qui s’élèvent et s’entrechoquent puis se dirigent vers la bouche et humectent les lèvres. Certains, grumes, quelques hésitations dans les regards, des hochements de tête. Les langues claquent contre le palais et dans une union, 46 ans plus tard l’exclamation est identique.

Elle est formidable !

4 commentaires sur « On m’a offert une mirabelle de 1977 ! »

  1. Sacré François !
    Ton texte lu c’est d’un grand éclat de rire que je l’ai acceuilli.🤣
    Et maintenant c’est foutu pour moi tu connais mon secret…
    Enfin avec tout cas avec que j’ecris je crois que j’aurais une sacrée cirrhose.😂
    Allez beau voyage à vous !

    J’aime

  2. Bien joli texte, formidable description d’une scène de dégustation de première mirabelle, dans une ambiance quasi-mystique. On dirait une société secrète…
    Un autre temps: l’urbanisation rampante, la règlementation impitoyable des bouilleurs de crus, le débarquement de mille autres breuvages exotiques remisent la dégustation des eaux-de-vie de nos terroirs au rayon des souvenirs en noir et blanc.
    Allez ce soir, pour célébrer le texte de Pascal, je re-goûterai une petite mirabelle oubliée quelque part…
    Avec modération bien sûr 🙂 !
    Thierry

    Aimé par 1 personne

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