Je replace les évènements dans le contexte, je suis au matin du mardi 14 mars.
Je n’ai pas très bien dormi, j’ai la sensation que mes cuisses ont couru toute la nuit. À 3h15, réveil naturel pour aller aux toilettes.
Je reste debout, plus vite je pars et plus vite je finirais ,comme dirait Lapalisse. Pourtant ma belle m’invite à venir me blottir contre elle. Elle n’est pas prête de quitter les draps bien chauds. C’est tentant, mais rien y fait, je m’active.
Je commence par un petit massage des cuisses pour les détendre, elles apprécient.
Je prépare le petit déjeuner et mes pensées s’envolent, il y a une semaine à 7h07 j’effectuais mes premières foulées sur cette Via Algarviana. Je ne savais pas trop dans quoi je me lançais. Il n’y avait qu’une chose qui m’animait :
Tout faire pour voir Alcoutim et surtout me faire plaisir en réussissant ce défi que je me suis lancé.
Mais la question restait quand même dans mon cœur, vais-je y arriver ?
Ce matin je sais que oui, sauf gros accident.
Je suis envahi d’une joie paisible, d’un calme et d’une détermination très sage pour terminer ce parcours qui m’a comblé.
Mais je suis honnête, ce matin j’ai un peu la trouille quand je pense aux 55 kilomètres qui m’attendent. En deux jours, j’aurais parcouru plus de 100 kilomètres.
Vais-je tenir physiquement ?

Il fait encore nuit, je pars avec la frontale, mon opiniâtreté est sans faille :
Je termine aujourd’hui !
C’est la première fois que je cours avec une frontale et cela m’amuse.
Un tour d’horizon de mon corps, alors que je me lance dans cette journée qui va être longue, très longue pour lui.
Les cuisses sont bien détendues, après un vigoureux massage. Les tendons ne sont jamais douloureux le matin, cela grâce aux cataplasmes d’argile nocturne.
Les ampoules sont comme la guirlande de Noël, elles clignotent à chaque pas, mais je m’y suis fait.
Donc après un bon kilomètre d’échauffement, j’adopte la petite foulée.
Je suis, pour cette journée, dans une euphorie, car physiquement, en dehors des petits bobos, je me sens dans une forme éclatante.
Je profite pleinement de l’aube, absorbe un peu d’énergie lunaire, chacun connaît les effets de celle-ci sur notre planète

et j’accueil le roi de l’univers, monsieur soleil.

J’éteins la frontale et le panorama autour de moi est extraordinaire.
Comment ne pas se sentir en forme quand on bénéficie d’un tel environnement ?
À perte de vue, les montagnes ondulent avec de temps à autre une éminence qui domine les crêtes, elles se marient avec le bleu du ciel, tout cela est accompagné par le gazouillis léger de quelques spécimens de la gente oiselesque.
Mon cœur bat plus fort, car au loin j’entends la huppe avec son chant caractéristique : » oup, oup, oup « , c’est un peu comme si à chacune de mes foulées elle m’encourageait. C’est un oiseau splendide, avec un mélange de noir, de blanc et de roux.
Je suis dans un état de quiétude et j’arrête mes petites foulées afin de marcher, car la lenteur me permet de mieux profiter de l’instant. Je suis enivré par l’enchantement. Ces moments de vie se gravent en moi et je ressens que l’action de marcher dans l’immensité de cette nature, où je dois avoir l’importance d’une petite fourmi, produit en moi un bien être incroyable.
Je peux comprendre que des personnes n’aiment pas courir, mais par contre, nous sommes tous nés pour marcher.
Il n’y a qu’à voir l’effort que nous faisons tous, quand nous sommes enfant pour arriver à marcher et ce ne sont pas les chutes et les bobos qui nous découragent. Chaque fois nous nous relevons pour mieux repartir. Et la joie des parents quand ils voient leur progéniture effectuer leurs premiers pas.
Et tout à coup arrivé à l’âge adulte, marcher devient une corvée.
Les amoureux de la mécanique sont en émerveillement devant un moteur complexe, bien huilé où tout coulisse facilement. Notre pied est un assemblage exceptionnel de 26 os, 16 articulations, 107 ligaments et 20 muscles. Tout cela existe pour nous faciliter la marche avec un corps souple et droit. N’est-ce pas exceptionnel ?
Marchet procure un plaisir extraordinaire quand on sait être à l’écoute.
Tout d’abord à l’écoute de son corps qui fournit un effort plus ou moins intense.
Ensuite à l’écoute non pas de la musique qui résonne dans des écouteurs, mais de la musique de la vie, celle de la nature.
Le bruissement de feuilles, le chant d’un oiseau, un animal qui se sauve dans un fourré etc.
C’est aussi profiter pour méditer, réfléchir, aérer son cerveau, créer.
Marcher c’est savoir apprécier la simplicité, mais justement, n’est-ce pas cette simplicité qui est oubliée dans notre société au profit de la consommation du faste.
Moi en cette matinée, j’ai un immense plaisir à marcher à tel point que voici déjà mon assistante, notre organisation est bien réglée. Et pour cette journée qui va être longue, les points de rencontre avec Laetitia sont nombreux.

J’échange frontal contre les lunettes de soleil, un petit quelque chose à manger et je repars par monts et par vaux.
Pour l’instant le terrain reste le même, des descentes qui m’amène dans de petites gorges avec des falaises de schistes. Dans le fond, une rivière coule paisiblement, elle berce une multitude de fleurs blanches qui effleurent la surface.
Cette beauté me donne du dynamisme pour aborder la montée suivante toujours aussi difficile.
Je comprends qu’avant la pause de midi je n’aurais pas de répit.
Ma belle me retrouve à vélo, cela signifie que je m’approche du village de Furnazinhas, elle me laisse pour me préparer une gourmandise au moment où mon chemin quitte la route goudronnée pour rejoindre le village par le sentier des écoliers.
Je traverse le village et me voici déjà à la sortie, point de Laetitia ou de fourgon, mais où se cache-t-elle ?
Je n’ai pas le temps de traîner, je me suis levé dans la nuit pour finir avant la nuit et voilà que je dois attendre.
Je téléphone, envoie des messages et personne ne me répond, la moutarde me monte au nez, je suis prêt à repartir, de toute façon je la retrouve dans onze kilomètres. Mais cela finit par m’inquiéter, je sais qu’elle a toujours son portable avec elle, si elle ne répond pas c’est qu’il lui est arrivé quelque chose. Je ne peux pas l’abandonner avec un problème. Il faut que je la trouve. Je redescends dans le village et elle est là à m’attendre. La moutarde explose tel le volcan, première fausse note dans notre partition bien réglée.
La tension de la dernière journée que nous voulons tous les deux comme une apothéose à ce défi nous met la pression. Après les éclats de voix qui ne blessent personne, je déguste sa spécialité maison : une crêpe épaisse double dans laquelle il y a de la banane, du chocolat et de la cannelle.

Plus d’une demi-heure à tenter de se retrouver et beaucoup de stress inutile qui fait perdre des forces. Mais il y a pire et cela se classera dans les souvenirs épiques.
Laetitia va me retrouver dans 8 kilomètres, il sera presque midi. Elle me propose soit de faire la longue pause à ce moment ou depuis Furnazhinas parcourir 14 kilomètres jusqu’a Balurcos et après il me restera 24 kilomètres jusqu’à Alcoutim.
J’ai huit kilomètres pour refléchir.
Me voici de retour sur le GR 13, frais comme un gardon après cette pause.
Ce parcours qui me sépare du prochain ravitaillement est certainement la partie la plus exigeante de la journée. Je suis bien content quand au bas d’une descente raide qui vient de me torturer les cuisses j’entends notre cris de ralliement.
Laëtitia est de l’autre côté de la rivière et m’informe qu’il n’y a ni pont, ni pierre pour la traverser. Donc pas de temps à perdre, je mets les pieds dans l’eau et en avant.


Après cela, c’est une montée tout aussi affolante que la descente qui m’attend. Nous croisons un couple de randonneurs atypiques comme nous, elle américaine, lui anglais parlant couramment espagnol, il est vrai qu’ils vivent à Malaga. Mais pas trop de temps pour les palabres en avant, marche.

Après cette montée, une petite descente en footing et voici le fourgon.

Léger massage des cuisses, Sumol, chocolat et je décide de repartir. La grande pause c’est pour dans six kilomètres. De toute façon je crois que le plus difficile est passé.
Dans ce hameau, un monsieur assis tranquillement sur un banc m’invite à m’asseoir auprès de lui et à boire de l’eau fraîche à la fontaine proche. Du moins c’est ce que je comprends, car bien sûr il me parle en portugais.
Cette gentillesse fait chaud au cœur et même si je n’ai pas besoin de chaleur, car le soleil élève la température ambiante, je me sens gonflé de bonne humeur. Et j’en ai bien besoin, car c’est une montée infernale sans fin qui m’attend, illuminée par les rayons de la boule de feu qui brille dans les cieux. Ces six kilomètres vont m’user, car ce n’est que descentes et montées qui ne me donnent pas l’occasion de courir beaucoup.
Enfin le bourg de Balurcos et le fourgon garé à l’ombre devant un panneau annonçant Alcoutim à 24 kilomètres.
Plus que 24 kilomètres et même si un ami qui se reconnaîtra, dira mais c’est plus qu’un semi-marathon, je viens de parcourir 276 kilomètres, alors 24 !?
Je n’ai pas l’habitude de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, mais cette fois-ci je sais que c’est gagné et on ouvre une bouteille de vinho verde.


Pour l’instant, repas conséquent, salade de pomme de terre, oeuf, le tout baignant dans la mayonnaise. Repas que j’adore !
Massage, sieste, soins et déjà 14h30 , il faut que je reparte. Rapide calcul, 24 kilomètres à 5 km/heures cela fait encore 5 heures de course, arrivée 19h30.

Je m’impose donc pour l’après-midi une vitesse de 5 km/h. Cela peut paraître lent mais après 8 jours sur les chemins et pour la journée, je suis déjà à 33 kilomètres, cela demande non plus un effort mais une bataille mentale.
Surtout que je pensais avoir fini ma lutte avec les côtes impossibles, mais le GR13 à décidé de me sortir les tripes jusqu’au bout et je ne serais pas en paix avec le dénivelé tant que je n’arriverai pas à Cortes Pereiras.
Cela fait deux jours que je me bats avec ces pentes, leurs vues commencent à me faire frémir de lassitude ; mes bras et épaules deviennent douloureux car je mets de la puissance dans la poussée sur les bâtons pour aider et soulager les jambes
Comme dans ces montées ma montre m’indique une vitesse aux environs de 18 minutes au kilomètre, il faut que je rattrape ce temps dans les descentes et faux plats.
Cette fois-ci plus de cadeau il faut y aller, les cuisses se durcissent.
À nouveau j’ai le plaisir de voir Laetitia venir à ma rencontre, elle cause mais je ne suis pas bavard restant concentré sur mon effort attentif au moindre signe de mon corps.
Le fourgon nous attend, massage des hanches et du bas du dos qui commencent à tirer.

Et aussi pour les cuisses qui baignent dans un ciment à prise rapide.
Cette fois-ci enfin le terrain est plus conciliant avec moi et je cours sans regarder ma montre, il faut que je rattrape le temps. Je me rends compte que je fonctionne plus avec la distance qu’avec le temps. Il me reste dix kilomètres et je suis content car je tient le rythme de 5 km/heures. Ce qui me motive aussi, c’est le fait que le compte à rebours est commencé, 9, 8 etc. Si je me dis qu’il me reste deux heures, c’est encore énorme.

Je reste focalisé sur les kilomètres qui défilent plus vite car là je peux courir et je lance dans cette bataille mes dernières forces.
Dernier village, Cortes Pereira, après je sais que c’est une belle piste qui descend sur le fleuve Guadiana, frontière entre le Portugal et l’Espagne, puis encore un peu de plat et j’arrive.

Reste 8 kilomètres, ras le bol des baskets, chaque pas les ampoules me font mal. Je chausse mes Keen, la lanière passe au-dessus des ampoules. Et dès les premiers pas, c’est une joie intense. Je pose le pied et je n’ai plus mal, c’est formidable !
Je traverse le village aux multiples ruelles, le balisage est défectueux, je me perds deux fois, heureusement que j’ai Maps me qui me ramène sur le bon chemin. Mais je me passerais bien de ces petits détours et de l’agacement qu’ils provoquent.
Je sors du village, un chemin pierreux, je fais attention car si je n’ai pas mal avec les Keen elles tiennent moins bien le pied.
Après ce passage c’est une large piste qui descend vers le fleuve, le voici c’est magnifique et une joie intense s’empare de moi, il me reste 5 kilomètres. La descente est terrible pour les cuisses. Les manchons de compression font un bon boulot au niveau des mollets et même des tendons.
J’ai toujours mes lunettes de soleil et je n’ai pas pris mes lunettes de vue et il commence à faire nuit. J’ôte les lunettes de soleil, plus question de regarder la montre, mais ma vue est encore assez bonne pour repérer le balisage.
J’aborde la partie plate et quel bonheur quand je passe la première lumière de l’éclairage public, j’approche mais il me reste encore trois kilomètres. Ce lampadaire était isolé et maintenant il fait nuit. Une ombre apparaît, c’est la plus belle qui puisse arriver à ce moment. Laetitia, elle n’a pas mes lunettes, mais a pensé à la frontale. Parti ce matin avec la frontale et je termine à la frontale.

Les lumières d’Alcoutim apparaissent, encore quelques foulées mes belles jambes et cela va s’arrêter.
Voici les premières maisons, un petit sentier difficile à descendre sur 200 mètres une rue bien éclairée, on croise une dame qui court et qui nous dit boa noite, c’est pas grand chose, mais tellement sympathique.

On éteint les frontales, j’ai l’impression de courir vite mais je me trompe, c’est mon corps épuisé qui donne tout ce qui lui reste qui me fait croire cela. Laetitia me dira par la suite qu’elle me suivait sans effort.

Un virage à gauche, le pont à traverser et voici le panneau via Algarviana qui annonce Cabo Vicentina 300 kilomètres.

Mais ce n’est pas fini je dois passer le centre du village, je suis dans les rues, je traverse une place, c’est Laetitia qui m’ouvre la voie. Première émotion, difficile à retenir quelques larmes, une ruelle en descente, je vois le fleuve et le fort qui domine le village Espagnol qui fait face à Alcoutim.
Je traverse la rue, un banc, un mur, le fleuve est à mes pieds, j’ai gagné, je suis arrivé, c’est terminé.

Pour la journée j’ai parcouru 57,880 kilomètres en 11h00.
Sur de courtes pauses je n’ai pas arrêté ma montre.
Une étreinte avec celle qui fut une assistante merveilleuse, les larmes coulent je suis fier de moi, heureux … j’arrête d’écrire, aucun mot ne peux révéler ce que je ressens.
Maintenant retour au fourgon douche, massage des jambes et direction le restaurant pour fêter cela en amoureux.
Je vous propose pour demain, un bilan de ce défi avec des chiffres précis pour ceux que ça intéresse.
Merci de nous avoir suivis, merci de nous avoir soutenus.
J’ai parcouru en 8 jours 313 kilomètres !
En arrivant à l’Ecopark j’ai eu droit y un accueil de champion par mes amis qui m’ont remis le 7 d’argent. Encore un grand merci à vous.

Je suis très satisfait car je n’ai aucune courbatures, mes tendinites ne me font plus mal reste le souci des ampoules.
Alors à demain pour un tour détaillé de cette semaine magnifique.
Au niveau organisation c’est Laetitia qui est la championne.
La rigueur est une qualité pour réussir ce genre de périple.
C’est vrai que certain soir c’était pas facile d’écrire mais je sais que vous etiez nombreux à attendre , alors c’est un autre challenge respecter les personnes qui apprécie ce que je fais.
Bien amicalement
Pascal
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Merci beaucoup à vous deux. C’est une bourgade que nous aimons bien, mais je crois surtout que c’est le calme du fleuve qui donne de la magie au lieu.
Merci et encore merci.
Pascal
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Merci pour vos compliments, ce fut une belle expérience poir tois les deux. Fabuleux ce que le corps peut faire.
Bises
Pascal
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Les chiffres sont impressionnants et méritent le respect en effet. Bel effort, organisation aux petits oignons, volonté d’airain, voici un périple exemplaire.
Et bien intéressant à suivre au quotidien, ce qui n’est pas le moindre des efforts quand il faut se cogner le résumé de la journée passée…
Bonne récupération !
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Bravo ! ! ! Alcoutim, de bons souvenirs pour nous aussi… Il y a déjà 10 ans, en voilier. Nous y avons vécu un mois très vivant avec tout ces gens de la voile et le bar-restaurant , et les promenades organisées par des anglais volontaires…
Encore bravo pour ces 300 km si bien partagés. Milu
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Quel mental, qu’elle résistance, qu’elle détermination !!!
RESPECT.
Bravo Pascal.
Et👍👏 à Laetitia qui a assuré l’assistance.
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