Lors de la première partie j’ai raconté mes débuts de servant de messe dès l’âge de 6 ans et ce fut une longue carrière.
D’abord, je servais ce que l’on nommait les petites messes du matin, mais il y avait les cérémonies et des messes en d’autres lieux du village.
Les cérémonies
Les mariages se déroulaient les samedis. C’était les plus intéressants, car nous rentrions à la maison avec des friandises, parfois de l’argent était donné, mais c’était pour la caisse des servants de messe.
Tous les ans pour nous récompenser, nous avions droit à une belle excursion souvent en Allemagne ou en Suisse. En début d’année, nous tirions la galette des Rois. Une fois que nous avions dévoré celle-ci avec nos appétits gloutons de gamin, le prêtre responsable des servants de messe avec son appareil à bobine au ronronnement mémorable nous passait des films muets de Laurel et Hardy.
Le dimanche, après la messe de 11 heures, il y avait les baptêmes. C’était la seule fois où nous bénéficions d’un peu de relâchement ce qui est bien normal, car le baptisé avait le droit de crier. Nous trépignons d’impatience dans l’attente des dragées qui allaient remplir nos poches et encore cela dépendait de la générosité des familles. Avec les plus croyantes, le baptême étant un sacrement sérieux, nous quittions l’église les mains vides et il nous restait nos yeux pour pleurer.
Ribeauvillé est la résidence du couvent des sœurs de la Divine Providence. Nous étions commandités pour servir le dimanche une messe au couvent, une autre au pensionnat des jeunes filles et une à la maison de retraite de ces chères sœurs, comme l’on disait.
A cette époque les ouailles du clergé étaient nombreuses. Il était de tradition en Alsace qu’un enfant par famille rentre dans les ordres.
Les soeurs étaient institutrices dans les écoles publiques des filles et on les retrouvait comme infirmières aussi bien dans les hôpitaux que dans les services à domicile. D’ailleurs, l’une d’elles était surnommée la sœur piqûre, car, parait-il, elle introduisait la seringue dans la chair du malade sans que celui-ci ne souffre.
Nous étions toujours volontaires pour servir la messe à la maison de retraite des sœurs, car après l’office elles nous offrait un petit déjeuner gargantuesque, bol de chocolat chaud accompagné de petits pains à profusion.
Les enterrements étaient un illustre moment.
Nous étions à l’école communale, 7 h 55, la cloche de l’école sonnait à toute volée. Seul l’un des élèves de CM2 avait le privilège de tirer sur la chaîne qui permettait au battant de frapper la robe et qui nous appelait à nous mettre en rang pour rentrer sagement en classe. Il nous tardait de passer en classe terminale de l’école primaire pour acquérir ce droit. Voilà donc une heure environ que la résonance du tintement avait cessé, là nous voyons le curé franchir la porte de la cour d’école nous savions que c’était pour aller servir un enterrement, cela était réservé aux élèves de CM1 ou CM2. Le représentant du clergé se rendait dans la classe du directeur. Tous les servants de messe avaient le cœur qui s’accélérait espérant être l’un des deux élus à quitter l’école et pouvoir servir celui qui venait de délaisser ce monde.
Lorsque le maître nous désignait, nous contrôlions notre ravissement, nous ne reviendrions à l’école que l’après-midi.
La cérémonie de l’enterrement était toujours plus longue, mais ce qui prenait du temps c’est que nous descendions en procession jusqu’au cimetière qui était encore plus bas dans le village que mon domicile. Arrivé en bas, il fallait remonter à pied. Les quelques voitures disponibles étaient réservées aux personnes déjà bien fatiguées par cette marche lente et interminable. Les gambettes pleines d’énergie des jeunes servants de messe pouvaient facilement retraverser le village, de toute façon nous ne demandions pas mieux.
Les moments exceptionnels de l’activité d’enfant de chœur.
Le mois de mai, c’était le mois de Marie et tous les matins une procession faisait le tour du village.
Dans la montagne au-dessus de Ribeauvillé, il y a le pèlerinage de Dusenbach. De temps en temps, nous nous rendions en procession jusqu’à ce pèlerinage, je ne me souviens plus la raison exacte. Nous longions la route d’Aubure et un servant de messe portait une croix en tête de procession, elle pesait son poids et nous devions nous relayer. Puis nous abordions la piste chaotique qui montait dans la forêt avec un chemin de croix où nous nous arrêtions à chaque station. Enfin, nous arrivions à Notre Dame de Dusenbach.
Une église, des bâtiments pour les religieux qui vivaient là et un restaurant pour les pèlerins, tout cela niché au fond d’un vallon où le chant du torrent qui descend de la montagne crée un cadre ensorceleur. Mais pas le temps de rêver, les portes de l’église sont grandes ouvertes pour nous accueillir.
Après l’office, on nous servait un sérieux casse-croûte, nous étions levés de bonne heure et avions parcouru quelques kilomètres, notre estomac avait besoin de reprendre de l’énergie pour pouvoir effectuer le retour à pied, bien évidemment.
Enfin, il y avait la fête Dieu qui se déroule soixante jours après Pâques. En préparation de celle-ci, tous les enfants catholiques du village étaient mobilisés pour passer dans les foyers qui possédaient des jardins afin de récolter des pétales de fleurs de préférence de rose.
La fête Dieu, c’était une procession enflammée par les cantiques de la chorale, relayée par la fanfare. Elle se glissait dans les rues et ruelles, empruntait presque toutes les places de la bourgade médiévale où était installé un autel. En ce lieu il y avait la lecture de prières suivie d’un prêche. Puis tout le monde repartait dans le même balancement en chantant alors que le curé qui tenait l’ostensoir était protégé par un dé porté par des notables. Nous, les servants de messes avions un petit panier rempli de pétales de fleurs, d’un geste auguste nous les lançions sur la route devant les pas de l’officiant qui portait le saint sacrement.
Montée en grade
Les années passaient et comme tout être humain sans avoir la sensation de vieillir, j’avais atteint l’âge de 12 ans. Plus question de participer à la messe le matin, je prenais du grade et je servais la grand-messe du dimanche et tous les événements religieux importants. Les plus marquants étant, la messe de Noël et les offices de la semaine Sainte qui se concluaient par la messe de Pâques.
Je laissais l’aube rouge et le surplis blanc au placard et pour les cérémonies je portais une aube d’un blanc immaculé. Ces grand-messes, quelle que soit la croyance, étaient des moments qui provoquaient des frissons. Le thuriféraire balançe l’encensoir pour qu’il fume à profusion, la chorale entonne les cantiques accompagnée par les grandes orgues. Alors s’éleve de la nef les voix des fidèles qui reprennent en chœur le couplet, cela fait presque vibrer d’émotions les mornes statues de tous les saints présents.
La période où nous faisions “ des heures supplémentaires “ était la semaine Sainte, car des offices spécifiques se succédaient. Nous avions des répétitions chaque matin, et ce dès le lundi, les protocoles étant très importants pour ces célébrations solennelles aux fastes apparats. Les messes commençaient à partir du jeudi avec le lavement des pieds, le vendredi la mort du Christ, le samedi l’interminable, mais splendide messe de la nuit Pascal avec la bénédiction du feu, de l’eau et du cierge Pascal. Puis le dimanche, c’était la grand-messe de Pâques et cela s’achevait avec la messe du lundi de Pâques. Je dois avouer qu’avec mon prénom dans cette période j’étais mis à l’honneur, surtout la nuit Pascal où notre abbé responsable m’accordait un rôle plus important et j’en tirais une certaine fierté.
Lors de cette grand-messe, les cloches revenaient de Rome. Pour annoncer leur retour, elles sonnaient à toute volée, alors que l’un des enfants de chœur secouait de toutes ses forces un carillon. La chorale avec l’orgue entonnait un cantique religieux accompagné de l’assemblée, l’instant devenait solennel, révérencieux et je pense que nombreux sont ceux qui devaient être saisie d’un frémissement interne avec parfois une larme au coin de l’œil.
Cette semaine où nous étions occupés au sérieux des différents protocoles, le prêtre qui nous encadrait était jeune, il comprenait que nous avions besoin de nous détendre. Alors de temps à autre nous pouvions prétendre à une partie de football à laquelle il participait.
Les moments inoubliables
Pendant cette carrière de 11 ans de servant de messe, j’ai de multiples anecdotes à raconter. En voici quelques-unes dont je me souviens et si elles sont restées gravées dans ma mémoire c’est sûrement les plus épiques.
— Alors que j’étais de semaine pour la messe du matin, c’est l’abbé Bopp qui officie. Arrive le moment où il doit lire une épître et il se rend compte que le sacristain qui prépare les livres des écritures s’est trompé. Il prend le livre, le jette sur l’autel avec quelques jurons, repart à la sacristie, la messe était dite. Je ne vous raconte pas la tête des grenouilles de bénitiers et comment ça a jasé dans le milieu catholique du village les jours suivants.
— À la messe du matin, un petit évènement anodin pouvait nous saisir d’un fou rire, était ce la fatigue ? La bonne du curé n’en avait cure, elle nous guettait. À la moindre inconvenance de notre part dès la fin de l’office quand nous rentrions à la sacristie, elle arrivait derrière nous et nous tirait l’oreille en nous enguirlandant. Une fois qu’elle avait fini et que notre oreille d’un rouge violacé avait pris deux à trois centimètres de plus, c’était le curé qui prolongeait son sermon pour nous faire la morale.
— Ce qui nous obligeait bien souvent à un contrôle de nos spasmes de rire c’était lors de la communion. Les très vieilles dames arrivaient les yeux fermés, langue tremblante pour accueillir le corps du Christ, certaines se préparant de loin pour recevoir l’hostie, trébuchent et heureusement que nous étions là pour les rattraper.
— Ce jour où un copain avait choisi une aube trop longue et s’étale de tout son long devant l’autel dans un « merde » qui résonne dans toute l’église. Celui-ci fut poursuivi d’un fou rire de l’assemblée même le prêtre officiant ne put se dominer seules les bigotes étaient offusquées.
— Il y avait aussi les deux burettes dont l’une remplie d’eau pour que le prêtre se lave les mains et la deuxième de vin qui devenait le sang du Christ. Nous connaissions les abbés gourmands qui prenaient un gewurztraminer et d’autres qui utilisaient un silvaner. Une fois que l’on ramenait tout cela derrière l’autel, on vidait le reste de la burette de vin.
Enfin après onze ans de sacerdoce, je termine ma carrière à la cathédrale de Colmar. Là je suis écœuré par la richesse dans le presbytère ; auquel s’ajoute l’hypocrisie que je constatais, la fausseté des sermons dont la règle était simple, faite ce que je dis, mais ne regardez pas ce que je fais.
Les tentations en ville pour les prêtres étaient-elles plus grandes qu’à la campagne ?
Ou alors mes yeux étaient trop innocents avant pour m’apercevoir de quoi que ce soit.
Enfin à Ribeauvillé j’ai vu de mes yeux des choses que je n’aurais pas dû voir. Avec les copains comme nous étions un peu des wackes* et cachés au bon endroit nous avons souvent vu les paysans ou vignerons amener vin ou volaille pour avoir l’autorisation d’effectuer les foins ou vendanger le dimanche.
Pour conclure une hiérarchie presque militaire où il fallait adorer l’évêque ou le pape plus que Dieu. Ribeauvillé était aussi le lieu de la résidence secondaire de l’évêque de Strasbourg, quand nous le rencontrions lors d’un office il nous fallait baiser sa bague. Je n’ai jamais compris ce que ces hommes avaient de plus que la mère de famille qui à cette époque se démène pour élever ses enfants avec des fins de mois compliqués et un mari parfois violent qui buvait une partie de la paye.
Petit à petit le calice se remplit et arrivé dans la révolte de l’adolescence j’ai tout envoyé promené. Ma découverte quelques années plus tard des atrocités perpétuées contre les cathares et les tortures de l’Inquisition m’ont éloigné définitivement de tous systèmes religieux.
Depuis, il est rare que je remette les pieds dans une église.
Avis personnel, aujourd’hui je constate que toute religion n’est qu’un dogme qui retire toute liberté à l’humain et particulièrement qui infériorise, voire méprise la femme.
Pour moi il est difficile de ne vivre que dans la matière et je pense que pour un bien-être intérieur, il est nécessaire d’avoir une vie spirituelle. A chacun de trouver et de faire son choix mais surtout de garder toute sa liberté.
La plus belle des cathédrale n’est-ce pas la nature ?
Il est vrai qu’il vaut mieux garder en souvenir les anecdotes qui nous ont amusées !
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Belle description d’une activité d’un temps passé, que j’ai également connue sous l’aube d’un enfant de chœur, moins longtemps toutefois. Mais tout ce que tu écris est exact, les jeunes générations ne pourraient pas l’imaginer… et pourtant, ce n’était pas si vieux.
Reste le positif, la nostalgie d’un ordre suranné, la camaraderie, le respect du protocole, les bons moments de rigolades (tu narres des anecdotes hilarantes 🙂), la collectivité d’un lieu-dit…
Merci pour ces souvenirs bien plaisants à lire !
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