L’enfant de chœur, 1 ère partie

1959, J’ai six ans, je fais partie d’une famille catholique pratiquante, surtout du côté de ma mère. Mon père est pratiquant plus par principe et même par obligation, car son épouse, ma mère, ne le laisse point tranquille tant qu’il n’a pas été faire ses Pâques.

En cette période d’après-guerre, la religion à une forte influence. Elle est présente dans les écoles publiques, de plus, en Alsace on dépend du concordat qui ne sépare pas l’église de l’état. 

Chaque dimanche au retour de la messe que ce soit ma mère, mes sœurs plus âgées que moi, ma grand-mère ou encore ma tante ; toutes me font miroiter ce jour où je serais autorisé à gravir les marches qui mènent à l’autel.

Les femmes de la famille me préparent depuis mon plus jeune âge à devenir enfant de chœur.

Monter cet escalier qui permet d’accéder aux côtés du prêtre, le représentant de Dieu m’exaltait bien plus que si l’on m’avait proposé de monter ceux du festival de Cannes dont pour sûr j’ignorais l’existence.

J’avais conscience de la fierté que cela allait apporter à toutes ces femmes qui m’entouraient et qui l’exprimaient ouvertement. En tant que femme elles n’ont pas le droit de parvenir à ce rôle, alors indirectement c’est moi qui réalisait leur rêve inaccessible.

J’allais devenir servant de messe pour leur faire plaisir, mais je dois l’avouer aussi pour la reconnaissance et le prestige que cela allait me donner.


La découverte

Le jour arrive où avec d’autres garçons de mon âge, je rentre dans la sacristie accompagné du curé, du prêtre responsable des enfants de chœur ainsi que la bonne du curé et le sacristain.

Nous sommes conviés à un cérémonial dans une pièce adjacente au chœur de l’église. Il y plane l’odeur dominante et particulière de l’encaustique. Si la voix du Seigneur peut pénétrer dans la profondeur des âmes, le soleil ne s’infiltre pas dans cette salle froide.  

Dans l’église catholique, la hiérarchie est primordiale. Le curé, le patron de la paroisse, avant de se retirer et de laisser les tâches inférieures à qui de droit, nous explique que nous avons un rôle noble et respectable qui se mérite. Cela nous donne l’obligation d’un comportement irréprochable pendant les offices, mais aussi à l’école, à la maison ou même dans les jeux avec les camarades. C’est un sentiment d’importance qui me gagne, mais qu’il me sera difficile de tenir tout au long de ma scolarité.

La bonne du curé, les yeux sombres derrière des verres épais et des lunettes à la monture sans fantaisie, porte sur nous un regard autoritaire. Sa bouche avec son rictus nous prouve que le sourire ou le rire ne sont pas ses activités préférées. Nous ne sommes pas bien grands, mais nous comprenons de suite que même si la femme ne peut accéder au ministère de Dieu, il faudra compter sur sa présence. Face à nous, se dressent de hautes armoires en bois clair dont les reflets nous éblouissent. Elle nous prévient sur un ton, aussi glacial que le lieu, de l’attention que nous devons porter à ces meubles, car précise-t-elle, avec d’autres dames de la paroisse, nous passons un temps précieux à les faire briller. 

La bonne tenue

Les aubes rouges sont alignées dans ces penderies, les essais sont organisés par le sacristain, épaulé de la bonne qui très vite démontre ses capacités d’adjudant-chef.

Ils doivent trouver celle qui correspond à notre taille.

Une aube trop courte qui laisse apparaître le pantalon, où les fidèles peuvent voir des chaussures pas toujours bien cirées, n’est pas digne pour servir le Seigneur. En plus, cela provoque trop de commérages et raillerie au sortir de l’église.

Une aube trop longue c’est assurer qu’à un moment ou à un autre, les pieds s’emberlificotent dans le tissu faisant trébucher le servant de messe novice devant l’autel. C’est garantir de multiples rires sous cape dans la nef qui ne peuvent être tolérés.

Après les essais, les répétitions commencent, actuellement on parlerait de formation.

L’initiation

Les protocoles à respecter sont nombreux et tout est ordonnancé, précis et strict, on ne rigole pas avec les rituels de la messe.

Après quelques semaines, arrive le grand jour où l’abbé pense que je suis apte. Je suis autorisé à participer à ma première messe. En tant que débutants aucune tâche nous est octroyée pendant l’office, dans le jargon du métier nous nommons cela “ être un pot de fleurs “.

Me voici au sein de la sacristie, habillé de mon aube rouge et du surplis blanc, le sacristain hiérarchise le placement des enfants de chœur. Les plus expérimentés devant, puis derrière eux, le prêtre et suivront les quatre nouveaux.

L’un des servants de messe tire sur une corde, au bout de laquelle une clochette se balance faisant tinter un son aigu. Cela pour prévenir l’assemblée de fidèles qu’il est temps de cesser de marmonner, le moment est venu de se recueillir, car rentre le ministre du Seigneur dans le chœur de l’église.

C’est un moment émouvant pour moi, j’ose jeter un regard en direction de la nef qui est noir de monde, ce qui équivaut à plusieurs centaines de personnes. Mon cœur s’accélère, car à six ans c’est impressionnant et intimidant.

Les nouveaux participent essentiellement à la grand-messe du dimanche. Nous encadrons l’autel soit debout ou agenouillé le buste droit comme un « i » ; nous n’avons surtout pas le droit de papoter et devons rester dans un grand recueillement, les mains jointes sur la poitrine. Pas de coussin pour les genoux, la seule douceur se trouve être le magnifique tapis qui orne le sol.

Par la suite, on nous donne un livret avec les prières du bas de l’autel qui étaient en latin. Nous devions apprendre à lire le latin sans en comprendre la signification, ces séances de lecture où le moindre bégaiement n’étaient pas autorisés, étaient supervisés par la bonne du curé.

Une fois que nous maîtrisons la diction nous sommes aptes comme pour le service militaire à servir non pas la nation, mais le Seigneur. Dans un premier temps nous officions que pour les petites messes ou dans des lieux annexes.

Le début d’une carrière

Régulièrement, je ne me souviens plus de l’espacement, nous étions de semaine. Cela voulait dire que je commençais mon service le dimanche avec la messe de 7 h 30. Puis s’enchaîne tous les matins la messe de 7 heures avant d’aller à l’école et cela se termine le dimanche suivant par le service de la messe de 11 heures.

Mon domicile était distant de près de deux kilomètres de l’église, comme pour tous les enfants de l’époque je m’y rendais à pied. Ma famille faisait partie de celles qui possédaient une voiture, mais jamais un parent n’aurait eu l’idée de sortir l’automobile pour conduire la progéniture où que ce soit.

Les véhicules étaient avant tout d’une utilité professionnelle. Parfois le dimanche, il servait pour visiter la famille. Je ne me plaindrais pas, car mon père et ma mère étant des amoureux de la nature, fréquemment les week-ends, on partait pour une promenade en forêt, en montagne ou chercher des champignons.

Donc en été comme en hiver je parcourais cette distance à pied.

À la belle saison, c’était agréable, le jour était déjà levé, les oiseaux chantaient et il y avait bien souvent de l’animation dans les rues.

Le plus pénible c’était les périodes de pluie où habillé d’un imperméable avec une capuche, j’arrivais à l’église trempé. Nous hésitions à éternuer pendant la cérémonie, car nous étions fusillés du regard par le curé et interpeller par sa bonne l’office terminé.

Là où tout changeait, c’était en hiver, le grand manteau blanc enveloppait le village, il gelait à pierre fendre. Ma mère me couvrait bien avant de partir et j’avais souvent droit à cette réflexion de mon père :

  • Ne te plaint pas, quand j’avais ton âge on avait des culottes courtes.

Cette remontée de la rue principale était longue, avec seulement quelques bruits feutrés. Il y avait un peu d’animation devant le boulanger ou l’épicier qui commençaient leur journée.

J’avançais dans cette neige plus ou moins épaisse, petit à petit un fumet venait taquiner mon odorat, il s’infiltrait virtuellement dans mon œsophage et provoquait des couinements à mon estomac. Ces odeurs émanaient de la boulangerie et je crois bien qu’en écoutant attentivement, mon imaginaire me permettait d’entendre le crépitement du pain sortant du four. En ce qui me concernait le petit pain au chocolat était réservé pour les jours de fête, pas question de faire une halte dans la boutique. Je poursuivais mon chemin de croix, car ma mémoire étant bonne, je passais devant quatre boulangeries.

Lorsque je parvenais à la sacristie, l’agréable chaleur du domicile m’avait quitté depuis bien longtemps, le froid s’était insidieusement glissé sous mes vêtements et il ne fallait pas compter se réchauffer à l’église. Il y avait bien un chauffage, mais dans l’immensité de la demeure de Dieu c’était à peine tempéré.

Les sanctions

Enfin, j’arrivais en salle de classe où là il faisait chaud. Une douce torpeur m’envahissait, la voix monocorde de l’enseignant ne captait pas mon attention et l’envie de m’endormir me gagnait. Mes paupières se mettaient à cligner, impossible de résister, elles tombaient. Tout à coup, mon corps sursautait, les paupières se relevaient comme tirée par un élastique, c’est l’instituteur qui venait de vociférer mon prénom à quelques centimètres de mes oreilles pour me réveiller. À la clef de cet effroi, je me retrouvais avec une punition.

J’aurais dû garder toutes ces punitions et retenues, je posséderais certainement un musée très original. Peut-être bien le mieux achalandé en sanction de tout genre, partant de la phrase copiée cent fois au diplôme du conseil de discipline, je pense les avoir toutes décrochées.

Ne vaut-il pas mieux s’en amuser que de s’énerver contre ces enseignants et leurs méthodes ?

Si dans la semaine, lors d’une course folle ou d’un match de foot nous prenions un beau gadin, le genoux voire les deux genoux se retrouvaient bien écorchés. Pour aider à la cicatrisation, la mère nous badigeonnait de merchurochrome.

Mais lors des cérémonies religieuses, il n’y avait pas de dispenses. La blessure se rouvrait et saignait c’était inévitable et cela faisait mal.

Mais que pouvions nous dire face à la souffrance du Christ qui nous regardait pitoyablement sur son crucifix ? 

Le pantalon au niveau du genoux portait la marque de notre douleur avec une tache de sang. Les institutrices et instituteurs avaient une responsabilité d’hygiène envers les enfants, car cette notion n’était pas encore parvenue dans toutes les familles et il était mal vu de venir avec des vêtements tachés.

La maîtresse nous faisait des remontrances, surtout quand celle-ci était athée comme cela m’est arrivé. Avec un sadisme certain, elle me punissait, car mon pantalon était souillé.

A suivre…

2 commentaires sur « L’enfant de chœur, 1 ère partie »

  1. Plein de détails sont remontés du plus profond de ma mémoire…moi aussi j’ai vécu cette période d’enfant de cœur pour la plus grande fierté de ma Mamema, c’était il y soixante ans….

    Aimé par 1 personne

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